Epreuve E3C : Histoire Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques
Voie : Bac général
Niveau d’études : Classe de première
Session : 2025
Durée de l’épreuve : 2 heures
Axes de programme : Les représentations du monde
Calculatrice : Interdite
Dictionnaire : Interdit
Numéro du sujet : G1SHLEH03694
Extrait de l’annale :
Ce roman d’Antoine Prévost d’Exiles raconte les péripéties fictives vécues par le fils de Cromwell, Cleveland. Ce dernier trouve refuge avec sa jeune épouse en Amérique, où il est accueilli par des Indiens, les Abaquis.
Avant que de rien entreprendre pour le bien des Abaquis, j’avais médité longtemps sur les changements extérieurs qu’il me semblait d’abord à propos de mettre dans leur forme de vie, et dans leur manière de se vêtir. C’est quelque chose de si choquant pour un Européen que de les voir nus, hommes et femmes, presque sans aucun égard pour la pudeur, que j’avais résolu sans délibérer de les obliger à se couvrir le corps ; et j’y voyais peu de difficulté, non seulement parce qu’ils étaient pourvus d’une multitude incroyable de peaux de tigres, de léopards, et d’autres animaux qu’ils tuaient à la chasse ; mais parce qu’ils étaient accoutumés à s’en revêtir pendant l’hiver, et qu’il n’était question que de leur faire conserver cet usage pendant l’été. Cependant, lorsque je viens à réfléchir plus particulièrement sur ce dessein, je fus porté par d’autres raisons à changer de sentiment. Le motif de la pudeur, qui était le seul que j’eusse de souhaiter qu’ils fussent couverts, ne me parut pas aussi fort que les inconvénients inévitables qui suivraient bientôt de l’établissement des habits. À le bien prendre, la honte d’être nu n’est point un sentiment naturel. C’est un préjugé de l’éducation et un simple effet de l’habitude.
J’en avais une preuve certaine et présente dans mes sauvages mêmes, qui ne rougissaient point de leur nudité, et qui regardaient cet usage comme une chose indifférente. Pourquoi leur faire perdre cette innocente simplicité, dans laquelle ils étaient accoutumés de vivre ? Au contraire, il me parut qu’ils suivaient bien plutôt en cela l’inspiration droite de la nature. Elle les avertissait par la rigueur du froid, qu’il était nécessaire qu’ils se couvrissent en hiver ; et la chaleur leur faisait regarder leurs vêtements en été comme des choses superflues et incommodes. Si je les oblige, disais-je, à se vêtir dans toutes les saisons, ils sentiront bientôt que c’est par une autre vue que celle de satisfaire aux besoins naturels ; ils regarderont leurs habits comme des ornements ; ils se piqueront peu à peu de propreté et de goût dans leur parure ; ils en viendront aux recherches curieuses, aux affectations, aux modes, et à tous les effets ridicules de la vanité et de l’amour propre, dont on voit tant de misérables exemples en Europe. Je veux qu’ils ne reçoivent de moi que ce qui peut leur être utile ; et je croirais leur rendre un fort mauvais office en les faisant sortir d’une grossièreté innocente pour leur ouvrir le chemin qui conduit au luxe et à la mollesse.
Antoine PREVOST D’EXILES, Cleveland (1731)
Question d’interprétation philosophique :
Sur quoi repose la distinction établie par l’auteur entre la nature et la culture ?
Question de réflexion littéraire :
La confrontation à l’autre ouvre-t-elle toujours l’esprit ?
Pour construire votre réponse, vous vous référerez au texte ci-dessus, ainsi qu’aux lectures et connaissances, tant littéraires que philosophiques, acquises durant l’année.