Epreuve E3C : Histoire Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques
Voie : Bac général
Niveau d’études : Classe de première
Session : 2025
Durée de l’épreuve : 2 heures
Axes de programme : Les pouvoirs de la parole.
Calculatrice : Interdite
Dictionnaire : Interdit
Numéro du sujet : G1SHLEH02994
Extrait de l’annale :
Le Marquis aime la Comtesse d’un amour partagé. Il est aimé de Madame Nollet qui a donné une forte somme à la voyante, Madame Jobin, pour qu’elle persuade la Comtesse de ne pas épouser le Marquis. Voici comment la voyante cherche à persuader la Comtesse.
MADAME JOBIN. Je n’ai pas besoin que vous me l’avouiez1 pour le savoir. Mais plus vous avez d’amour, plus cet amour vous doit engager, non seulement à n’épouser pas un homme qui ne peut que vous rendre malheureuse, mais à lui conseiller de ne se marier jamais, car il n’y a rien que de funeste2 pour lui dans le mariage.
LA COMTESSE. Que me dis-tu là ? Quoi les choses ne se peuvent détourner3 ?
MADAME JOBIN. Non, hasardez4 si vous voulez, c’est votre affaire. Quand vous souffrirez, vous ne vous en prendrez point à moi.
LA COMTESSE. Mais encore, explique-moi quelle sorte de malheur j’ai à
redouter.
MADAME JOBIN. Il est entièrement attaché à celui que vous aimez. S’il se marie, il aimera sa femme si éperdument qu’il en deviendra jaloux jusque dans l’excès.
LA COMTESSE. La jalousie n’est point de son caractère.
MADAME JOBIN. Il sera jaloux, vous dis-je, et si fortement, qu’il ne laissera
aucun repos à sa femme. C’est là peu de chose, voici le fâcheux. Il tuera un homme puissant en amis4 , qu’il trouvera un soir causant avec elle. On l’arrêtera, et il perdra la tête sur un échafaud.
LA COMTESSE. Sur un échafaud ? Cela est fait. Je ne l’épouserai jamais.
MADAME JOBIN. Ce malheur ne lui est pas seulement infaillible en vous
épousant, mais encore en épousant toute autre que vous. C’est à vous à l’en avertir, si vous l’aimez.
LA COMTESSE. Il ne faut point qu’il songe à se marier. Sur un échafaud ! Quand il serait le mari d’une autre, j’en mourrais de déplaisir. Mais tout ce que tu me dis estil bien certain ?
MADAME JOBIN. Je l’ai découvert par des conjurations6 que je n’avais jamais
faites ; j’en ai moi-même tremblé, car il est quelquefois dangereux d’arracher les secrets de l’avenir ; mais je vous l’avais promis, et j’ai voulu tout faire pour vous.
LA COMTESSE. Quel malheur pour moi de l’avoir aimé ! Je ne l’épouserai point, j’y suis résolue. Mais dis-moi, me pourrais-tu satisfaire sur une chose ? Je voudrais savoir ce qu’il fait présentement.
MADAME JOBIN. Que gagnerais-je à vous dire ce que vous croiriez que je
n’aurais deviné que par hasard ? Apparemment, il ne fait rien d’extraordinaire, et il n’est pas difficile de s’imaginer ce qu’un homme fait tous les matins.
Donneau de Visé et Thomas Corneille, La Devineresse (1680), acte I, scène 6
(orthographe modernisée)
1. « Je n’ai pas besoin que vous me l’avouiez » : que vous êtes amoureuse.
2. Qui apporte le malheur.
3. Le malheur ne peut être évité.
4. Prenez le risque.
5. Qui a des amis puissants, bien placés.
6. Formules magiques pour détourner des influences maléfiques
Question d’interprétation littéraire :
En quoi Madame Jobin conduit-elle le dialogue pour parvenir à ses fins ?
Question de réflexion philosophique :
En quoi la parole séductrice a-t-elle besoin du consentement de ses auditeurs ?
Pour construire votre réponse, vous vous référerez au texte ci-dessus, ainsi qu’aux lectures et connaissances, tant littéraires que philosophiques, acquises durant l’année.