Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Amérique du Sud
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2022
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 22-HLPJ2AS1
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
Après avoir visité une exposition organisée par l’Académie royale de peinture et de sculpture, Denis Diderot en rend compte dans le journal Correspondance littéraire. Il s’attarde en particulier sur un tableau de Jean Baptiste Greuze intitulé La Piété filiale (ou Le Paralytique).
Le genre me plaît. C’est la peinture morale. Quoi donc, le pinceau n’a-t-il pas été assez et trop longtemps consacré à la débauche et au vice ? ne devons-nous pas être satisfaits de le voir concourir enfin avec la poésie dramatique à nous toucher, à nous instruire, à nous corriger et à nous inviter à la vertu ? Courage, mon ami Greuze ! Fais de la morale en peinture, et fais-en toujours comme cela. Lorsque tu seras au moment de quitter la vie, il n’y aura aucune de tes compositions que tu ne puisses te rappeler avec plaisir. Que n’étais-tu à côté de cette jeune fille1 qui, regardant la tête de ton Paralytique, s’écria avec une vivacité charmante : « Ah, mon Dieu, comme il me touche ; mais si je le regarde encore, je crois que je vais pleurer ». Et que cette jeune fille n’était-elle la mienne ! Je l’aurais reconnue à ce mouvement. Lorsque je vis ce vieillard éloquent et pathétique, je sentis, comme elle, mon âme s’attendrir et des pleurs prêts à tomber de mes yeux.
Le tableau de la Piété filiale2 a quatre pieds six pouces de large, sur trois pieds3 de haut.
Le principal personnage, celui qui occupe le milieu de la scène, et qui fixe l’attention, est un vieillard paralytique, étendu dans son fauteuil, la tête appuyée sur un traversin, et les pieds sur un tabouret. Il est habillé. Ses jambes malades sont enveloppées d’une couverture. Il est entouré de ses enfants et de ses petits-enfants, la plupart empressés à le servir. Sa belle tête est d’un caractère si touchant ; il paraît si sensible aux services qu’on lui rend ; il a tant de peine à parler, sa voix est si faible, ses regards si tendres, son teint si pâle, qu’il faut être sans entrailles pour ne pas les sentir remuer.
Diderot, Salon de 1763, « Greuze ».
1. Il s’agit d’une jeune fille, inconnue de Diderot, venue admirer le tableau de Greuze.
2. La Piété filiale et Le Paralytique désignent une seule et même œuvre.
3. Soit 137 cm environ de large sur 91 cm environ de haut.
Première partie : interprétation littéraire
Par quelles dimensions de l’œuvre Diderot est-il touché ?
Deuxième partie : essai philosophique
Par quelles dimensions de l’œuvre Diderot est-il touché ?
SUJET 2
Ce récit raconte la rencontre entre le narrateur, jeune homme d’une vingtaine d’années, et un berger solitaire, Elzéard Bouffier, retiré dans des terres désolées et arides des Alpes de Haute Provence. Une de ses seules activités est de planter des arbres sur les terres qui l’entourent.
J’avais vu mourir trop de monde pendant cinq ans1 pour ne pas imaginer facilement la mort d’Elzéard Bouffier, d’autant que, lorsqu’on en a vingt, on considère les hommes de cinquante comme des vieillards à qui il ne reste plus qu’à mourir. Il n’était pas mort. Il était même fort vert. Il avait changé de métier. Il ne possédait plus que quatre brebis mais, par contre, une centaine de ruches. Il s’était débarrassé des moutons qui mettaient en péril ses plantations d’arbres. Car, me dit-il (et je le constatais), il ne s’était pas du tout soucié de la guerre. Il avait imperturbablement continué à planter.
Les chênes de 1910 avaient alors dix ans et étaient plus hauts que moi et que lui. Le spectacle était impressionnant. J’étais littéralement privé de parole et, comme
lui ne parlait pas, nous passâmes tout le jour en silence à nous promener dans sa forêt. Elle avait, en trois tronçons, onze kilomètres de long et trois kilomètres dans sa plus grande largeur. Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme – sans moyens techniques – on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction.
Il avait suivi son idée, et les hêtres qui m’arrivaient aux épaules, répandus à perte de vue, en témoignaient. Les chênes étaient drus et avaient dépassé l’âge où ils étaient à la merci des rongeurs ; quant aux desseins de la Providence2 elle-même, pour détruire l’œuvre créée, il lui faudrait avoir désormais recours aux cyclones. Il me montra d’admirables bosquets de bouleaux qui dataient de cinq ans, c’est-à-dire de 1915, de l’époque où je combattais à Verdun. Il leur avait fait occuper tous les fonds où il soupçonnait, avec juste raison, qu’il y avait de l’humidité presque à fleur de terre. Ils étaient tendres comme des adolescents et très décidés.
La création avait l’air, d’ailleurs, de s’opérer en chaînes. Il ne s’en souciait pas ; il poursuivait obstinément sa tâche, très simple. Mais en redescendant par le village, je vis couler de l’eau dans des ruisseaux qui, de mémoire d’homme, avaient toujours été à sec. C’était la plus formidable opération de réaction qu’il m’ait été donné de voir. Ces ruisseaux secs avaient jadis porté de l’eau, dans des temps très anciens. Certains de ces villages tristes dont j’ai parlé au début de mon récit s’étaient construits sur les emplacements d’anciens villages gallo-romains dont il restait encore des traces, dans lesquelles les archéologues avaient fouillé et ils avaient trouvé des hameçons à des endroits où au vingtième siècle, on était obligé d’avoir recours à des citernes pour avoir un peu d’eau.
Le vent aussi dispersait certaines graines. En même temps que l’eau réapparut
réapparaissaient les saules, les osiers, les prés, les jardins, les fleurs et une certaine raison de vivre.
Jean Giono, L’Homme qui plantait des arbres, 1953.
1. Allusion aux années de la première guerre mondiale, qui ont séparé les deux hommes.
2. Puissance supérieure qui gouverne le monde.
Première partie : interprétation littéraire
Comment Giono met-il en valeur la renaissance de la région dans cet extrait ?
Deuxième partie : essai philosophique
La nature est-elle autre chose qu’une création humaine ?