Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Asie
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2021
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 21-HLPJ2JA1
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
David Thoreau, écrivain et philosophie américain, a développé une critique de la civilisation urbaine et industrielle. Il a aussi choisi, à un certain moment de sa vie, de se retirer au fond des bois.
Chacun doit trouver en lui-même son propre rythme, et c’est la vérité. Le jour
naturel est très calme et il ne reprochera jamais à quiconque son indolence.
Mon mode de vie me fournissait du moins cet avantage sur ceux qui étaient contraints d’aller chercher ailleurs leurs distractions, dans la société et au théâtre, car ma vie elle-même était devenue ma distraction et elle ne cessait jamais de se renouveler.
C’était un drame aux nombreuses scènes, et sans fin. Si vraiment nous trouvions toujours de quoi vivre et réglions sans cesse notre existence selon la dernière et meilleure façon que nous avons apprise, jamais nous ne connaîtrions l’ennui. Suivez votre génie d’assez près, il ne manquera pas de vous montrer à chaque heure une perspective inédite. Les tâches domestiques étaient un agréable passe-temps. Quand mon sol était sale, je me levais de bonne heure, j’installais tout mon mobilier dehors sur l’herbe, le lit et la literie en vrac, je jetais de l’eau sur mon plancher, j’y répandais du sable blanc venant du lac, puis je le frottais avec un balai pour le rendre propre et immaculé ; et à l’heure où les villageois prenaient leur petit-déjeuner, le soleil du matin avait suffisamment séché ma maison pour me permettre d’y réemménager, et c’est à peine si mes méditations s’en trouvaient interrompues. J’avais plaisir à voir tous mes meubles et mes objets dehors dans l’herbe, faisant un petit tas comme le ballot d’un bohémien, et ma table à trois pieds d’où je n’ôtais pas les livres, la plume et l’encrier, dressée parmi les pins et les hickories1. Ils semblaient heureux de prendre l’air, et presque réticents à l’idée de réintégrer leur décor initial.
Parfois, j’avais envie d’installer un auvent au-dessus d’eux et de m’asseoir dessous. Cela valait vraiment la peine de voir le soleil briller sur toutes ces choses et d’entendre le vent souffler librement sur elles ; nos objets les plus familiers semblent tellement plus intéressants quand ils sont dehors que dans la maison. Un oiseau est perché sur la branche toute proche, l’immortelle pousse sur la table et les ronces s’enroulent autour de ses pieds ; les pommes de pin, les bogues de châtaignes et les feuilles de fraisier jonchent l’herbe. On dirait que c’est la manière dont ces formes ont été métamorphosées en meubles, tables, chaises et lits – parce qu’ils ont été un jour parmi elles.
Henry David Thoreau, Walden ou la Vie dans les bois, 1854
– traduction de Brice Matthieussent
1 « hickories » : arbres d’Amérique du Nord
Première partie : interprétation littéraire
Comment Thoreau montre-t-il que l’attention aux choses sensibles suffit à remplir l’existence ?
Deuxième partie : essai philosophique
Les œuvres littéraires renouvellent-elles notre approche du quotidien ?
SUJET 2
Jean Ferrat (1930-2010) compose cette chanson, Nuit et brouillard, en 1963. « Nuit et brouillard » est le nom d’un décret des autorités nazies, signé le 7 décembre 1941 et condamnant les opposants à la déportation en Allemagne et à la mort.
Nuit et brouillard
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir
Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter ?
L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été
Je twisterais1 les mots s’il fallait les twister
Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent
Jean Ferrat, Album Nuit et Brouillard, Barclay, 1963.
1 « twister » : tordre, tortiller, retourner (le twist est une danse populaire des années 1960, qui se danse sur une musique de rock and roll, par une rotation des jambes et du bassin).
Première partie : interprétation littéraire
Comment ce texte vient-il restaurer l’humanité mise en péril des déportés ?
Deuxième partie : essai philosophique
Comment résiste-t-on à la déshumanisation ?