Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Centres Etrangers Afrique
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2021
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 21-HLPJ1G11
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
Félix, le personnage principal du roman, est l’amant de Henriette de Mortsauf.
Cette dernière est tiraillée entre son amour pour lui, et celui, éperdu, qu’elle porte à ses enfants.
« J’avais oublié de vous rendre cette clef, lui dis-je en souriant.
– Vous ne reviendrez donc plus ? dit-elle.
– Est-ce que nous nous quittons ? » demandai-je en lui jetant un regard qui lui fit abaisser ses paupières pour voiler sa muette réponse.
Je partis après quelques moments passés dans une de ces heureuses stupeurs des âmes arrivées là où finit l’exaltation et où commence la folle extase. Je m’en allai d’un pas lent, en me retournant sans cesse. Quand au sommet du plateau je contemplai la vallée une dernière fois, je fus saisi du contraste qu’elle m’offrit en la comparant à ce qu’elle était quand j’y vins : ne verdoyait-elle pas, ne flambait-elle pas alors comme flambaient, comme verdoyaient mes désirs et mes espérances ?
Initié maintenant aux sombres et mélancoliques mystères d’une famille, partageant les angoisses d’une Niobé chrétienne1, triste comme elle, l’âme rembrunie, je trouvais en ce moment la vallée au ton de mes idées. En ce moment les champs étaient dépouillés, les feuilles des peupliers tombaient, et celles qui restaient avaient la couleur de la rouille ; les pampres2 étaient brûlés, la cime des bois offrait les teintes graves de cette couleur tannée que jadis les rois adoptaient pour leur costume et qui cachait la pourpre du pouvoir sous le brun des chagrins. Toujours en harmonie avec mes pensées, la vallée où se mouraient les rayons jaunes d’un soleil tiède me présentait encore une vivante image de mon âme. Quitter une femme aimée est une situation horrible ou simple, selon les natures ; moi je me trouvai soudain comme dans un pays étranger dont j’ignorais la langue ; je ne pouvais me prendre à rien, en voyant des choses auxquelles je ne sentais plus mon âme attachée. Alors l’étendue de mon amour se déploya, et ma chère Henriette s’éleva de toute sa hauteur dans ce désert où je ne vécus que par son souvenir.
Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée (1836).
1 « angoisses d’une Niobé chrétienne » : craintes d’une mère de perdre ses enfants
2 « pampres » : branches de vigne
Première partie : interprétation littéraire
Quels rôles joue le paysage dans l’expression de la sensibilité du narrateur ?
Deuxième partie : essai philosophique
La nature me parle-t-elle de moi ?
SUJET 2
Que des hommes aient pour avenir la mort, cela est contre nature. Dès que la pratique de la guerre a rendu sensible la possibilité de mort qu’enferme chaque minute, la pensée devient incapable de passer d’un jour à son lendemain sans traverser l’image de la mort. L’esprit est alors tendu comme il ne peut souffrir de l’être que peu de temps ; mais chaque aube nouvelle amène la même nécessité ; les jours ajoutés aux jours font des années. L’âme souffre violence tous les jours. Chaque matin l’âme se mutile de toute aspiration, parce que la pensée ne peut pas voyager dans le temps sans passer par la mort. Ainsi la guerre efface toute idée de but, même l’idée des buts de la guerre. Elle efface la pensée même de mettre fin à la guerre. La possibilité d’une situation si violente est inconcevable tant qu’on n’y est pas ; la fin en est inconcevable quand on y est. Ainsi l’on ne fait rien pour amener cette fin. Les bras ne peuvent pas cesser de tenir et de manier les armes en présence d’un ennemi armé ; l’esprit devrait combiner pour trouver une issue ; il a perdu toute capacité de rien combiner à cet effet. Il est occupé tout entier à se faire violence. Toujours parmi les hommes, qu’il s’agisse de servitude ou de guerre, les malheurs intolérables durent par leur propre poids et semblent ainsi du dehors faciles à porter ; ils durent parce qu’ils ôtent les ressources nécessaires pour en sortir.
Néanmoins l’âme soumise à la guerre crie vers la délivrance ; mais la délivrance même lui apparaît sous une forme tragique, extrême, sous la forme de la destruction.
Une fin modérée, raisonnable, laisserait à nu pour la pensée un malheur si violent qu’il ne peut être soutenu même comme souvenir. La terreur, la douleur, l’épuisement, les massacres, les compagnons détruits, on ne croit pas que toutes ces choses puissent cesser de mordre l’âme si l’ivresse de la force n’est venue les noyer.
Simone Weil, L’Iliade ou le poème de la force (1941)
Première partie : interprétation littéraire
D’après ce texte, pourquoi la violence de la guerre nous déshumanise-t-elle ?
Deuxième partie : essai philosophique
Que peut dire la littérature confrontée à une violence sans issue ?