Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Centres Etrangers Afrique
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2025
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 25-HLPJ1G11
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Marie d’Agoult, future grande écrivaine, voyageuse, musicienne, découvre,
adolescente, le plaisir de la lecture.
Il y avait dans un petit boudoir proche du salon, où l’on se tenait de préférence
en automne mais qu’on me laissait, à moi seule, l’été, pour y écrire mes devoirs, une armoire ou placard, fermée d’un grillage en fil de fer que doublait une soie verte fanée. Cette armoire renfermait, sur des tablettes, un assez grand nombre de livres en petits formats très variés, fort joliment reliés, mais dont aucun n’avait été choisi en vue d’une bibliothèque de demoiselle. Jamais on ne m’avait défendu de lire ces livres, mais quelque chose me disait qu’ils devaient m’être interdits. La première fois que je tournai la clef du placard, étant seule, dans la simple intention de regarder les titres des volumes, je fus prise de peur et, aussitôt, me figurant entendre ouvrir la porte du boudoir, je refermai précipitamment l’armoire et je me rassis à ma table, avec l’air d’écrire. Cette dissimulation fut toute d’instinct, et l’on m’aurait, à coup sûr, fort embarrassée, si l’on m’en eût demandé la cause, car je ne désobéissais à personne ; et quel mal pouvait-il y avoir d’ouvrir, pour regarder des titres de livres, une armoire dont la clef restait à la serrure ?
Le jour suivant je fus plus hardie ; sur le rayon le mieux à portée de ma main, je pris un volume, le plus petit, le plus joli ; je l’ouvris. Il y avait une gravure en tête ; c’était Le Diable amoureux de Cazotte ; ç’aurait pu être pire. Un nouveau bruit me fit fuir, comme le rat de La Fontaine, avant que de goûter au mets friand. Mais j’y revins ; et bientôt, dans cet exercice répété de l’armoire à la table et de la table à l’armoire, toujours l’oreille au guet, j’acquis une finesse de l’ouïe, une prestesse des jambes extraordinaires. Un jour, fatiguée de me tenir debout près de l’armoire, je m’assis avec mon volume à la table où j’étais censée travailler. C’était bien plus commode et plus sûr. Au moindre mouvement de chaise que j’entendais au salon, je fourrais le volume dans le tiroir de mon pupitre, sous mes cahiers d’analyses ; et, trempant ma plume dans l’encre, j’achevais tant bien que mal la phrase commencée sur le premier empire des Assyriens ou sur les habitants de la Nouvelle-Zélande. Personne ne se doutait de rien ; et de la sorte, je lus pendant toute une saison une infinité de romans : madame Cottin, madame de Genlis, madame Riccoboni, Ann Radcliffe(1), qui mirent en désarroi ma pauvre petite cervelle. Un jour, j’eus la mortification extrême de trouver la clef de l’armoire ôtée. On ne l’y remit plus. S’était-on aperçu de quelque chose ? C’est assez probable, mais j’ai dit qu’on ne me grondait jamais. Ma mère ou ma grand-mère s’étaient dit d’ailleurs peut-être qu’elles étaient, en ceci, les plus répréhensibles ; bref, tout le monde se tut. Je fus fort attrapée. Mais, privée de mes lectures, je n’en gardais que mieux dans ma mémoire les noms, les images, les aventures romanesques que j’y avais entassées depuis six mois.
Marie d’AGOULT, Premières années (1877)
(1) Madame Cottin, madame de Genlis, madame Riccoboni, Ann Radcliffe : célèbres autrices des XVIIIème et XIXème siècles.
Première partie : interprétation philosophique
Comment la narratrice décrit-elle dans cet extrait le plaisir de la lecture ?
Deuxième partie : essai littéraire
L’interdit est-il essentiel à toute éducation ?