Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Centres Etrangers Afrique
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2021
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 21-HLPJ2G11
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
Pendant la Première Guerre mondiale, M. Marchandeau vient d’apprendre que son fils Pierre, soldat ayant refusé d’obéir aux ordres, s’apprête à être fusillé pour cette raison.
Comme tout le monde, M. Marchandeau avait souvent compulsé, d’une main parfois distraite, ces illustrés1 de la guerre qui offraient au monde un tel résumé d’horreurs qu’il ne semblait pas croyable que personne en pût supporter la vue. Dans ces illustrés, dont certains se vantaient de payer n’importe quel prix les documents intéressants, il lui était arrivé de tomber sur les images d’une exécution capitale : espion passé par les armes2. L’homme, la tête basse, les mains liées, une dernière cigarette aux lèvres, marchait entouré de ses bourreaux, et M. Marchandeau avait remarqué qu’il s’en trouvait toujours un pour sourire. C’était à croire qu’il ne pouvait y avoir d’exécution capitale sans ce sourire-là ! Qui donc tout à l’heure sourirait ?
Venait ensuite l’exécution proprement dite : l’homme, à genoux devant le poteau, les yeux bandés. Ensuite enfin, et pour conclure, le défilé des troupes devant le cadavre.
Il avait regardé ces images non sans émotion, mais avec le sentiment que cela ne le concernait pas directement, que ces choses atroces se passaient dans un univers sans rapport avec le sien, si paisible, que bien sûrement il ne serait jamais fusillé, lui ni personne qu’il connût. Or…
Il lui arrivait, comme à tant d’autres, une aventure à laquelle il n’était pas préparé : il était au spectacle, commodément installé dans un fauteuil, et voilà qu’on le priait durement de vider son siège, de grimper en scène, d’y traîner avec lui sa femme et son fils. Il n’avait pas prévu cela. Naïvement, jusqu’au 2 août 19143, il avait pris la vie pour un conte. On exigeait aujourd’hui, fouet en main, qu’il prît au jeu une part active, sans même lui demander s’il avait au moins appris un petit bout de rôle, s’il savait en quoi consistait le scénario dans son ensemble et au bénéfice de qui était monté ce gala4 ? Mais il ne savait rien. Il voyait seulement qu’il ne s’agissait plus de spectacle du tout, que la comédie tournait au drame – au vrai drame – que la balle était une vraie balle, l’épée vraiment teintée de sang, le mort un vrai mort.
On fusillait les espions : soit ! Mais on ne lui avait pas dit qu’on fusillait aussi les insurgés5, ni même qu’il y en eût. On lui avait fait croire que tout allait « à merveille » et que ces milliers de jeunes gens jetés au fumier acceptaient joyeusement leur mort. Il s’était laissé duper sans penser une seconde que la machine meurtrière pouvait aussi se retourner contre lui et contre son fils. Il avait laissé faire, il avait consenti. Il était complice, hélas ! de ce sourire qui tout à l’heure accompagnerait Pierre au poteau, complice des prières qu’un tendre aumônier6 ne manquerait pas de prodiguer à son fils afin que tout soit en règle et la mort bien parée.
Louis Guilloux, Le Sang noir (1935).
1 « illustré » : magazine comportant des images.
2 « passé par les armes » : exécuté.
3 « 2 août 1914 » : le jour de la mobilisation générale, au cours duquel les soldats sont appelés au front.
4 « gala » : grande fête officielle.
5 « insurgés » : ceux qui se révoltent.
6 « aumônier »: prêtre chargé de recueillir les dernières volontés d’un mourant.
Première partie : interprétation littéraire
Comment le personnage prend-il conscience de la violence du monde et comment le texte en rend-il compte ?
Deuxième partie : essai philosophique
Pourquoi est-il dangereux de nier l’existence de la violence dans l’Histoire ?
SUJET 2
Notre caractère est l’effet d’un choix qui se renouvelle sans cesse. Il y a des points de bifurcation (au moins apparents) tout le long de notre route, et nous apercevons bien des directions possibles, quoique nous n’en puissions suivre qu’une seule. Revenir sur ses pas, suivre jusqu’au bout les directions entrevues, en cela paraît consister précisément l’imagination poétique. Je veux bien que Shakespeare n’ait été ni Macbeth, ni Hamlet, ni Othello ; mais il eût été ces personnages divers si les circonstances, d’une part, le consentement de sa volonté, de l’autre, avaient amené à l’état d’éruption violente ce qui ne fut chez lui que poussée intérieure. C’est se méprendre étrangement sur le rôle de l’imagination poétique que de croire qu’elle compose ses héros avec des morceaux empruntés à droite et à gauche autour d’elle, comme pour coudre un habit d’Arlequin.
Rien de vivant ne sortirait de là. La vie ne se recompose pas. Elle se laisse regarder simplement. L’imagination poétique ne peut être qu’une vision plus complète de la réalité. Si les personnages que crée le poète nous donnent l’impression de la vie, c’est qu’ils sont le poète lui-même, le poète multiplié, le poète s’approfondissant lui-même dans un effort d’observation intérieure si puissant qu’il saisit le virtuel dans le réel et reprend, pour en faire une œuvre complète, ce que la nature laissa en lui à l’état d’ébauche ou de simple projet.
Bergson, Le Rire (1900).
Première partie : interprétation littéraire
Selon ce texte, en quoi l’imagination poétique révèle-t-elle les richesses du moi ?
Deuxième partie : essai philosophique
L’expérience littéraire est-elle un effort d’observation intérieure ?