Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Centres Etrangers Afrique
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2022
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 22-HLPJ2G11
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
Chateaubriand raconte comment, étant enfant, son père l’oblige à dormir dans une vieille tour sinistre.
Quelques martinets1, qui durant l’été s’enfonçaient en criant dans les trous des murs, étaient mes seuls compagnons. La nuit, je n’apercevais qu’un petit morceau de ciel et quelques étoiles. Lorsque la lune brillait et qu’elle s’abaissait à l’occident, j’en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losangés de la fenêtre. Des chouettes, voletant d’une tour à l’autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l’ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois il laissait échapper des plaintes ; tout à coup ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore. À quatre heures du matin, la voix du maître du château, appelant le valet de chambre à l’entrée des voûtes séculaires2, se faisait entendre comme la voix du dernier fantôme de la nuit. Cette voix remplaçait pour moi la douce harmonie au son de laquelle le père de Montaigne éveillait son fils.
L’entêtement du comte de Chateaubriand à faire coucher un enfant seul au haut d’une tour pouvait avoir quelque inconvénient ; mais il tourna à mon avantage. Cette manière violente de me traiter me laissa le courage d’un homme, sans m’ôter cette sensibilité d’imagination dont on voudrait aujourd’hui priver la jeunesse. Au lieu de chercher à me convaincre qu’il n’y avait point de revenants on me força de les braver. Lorsque mon père me disait, avec un sourire ironique : « Monsieur le chevalier aurait-il peur ? » il m’eût fait coucher avec un mort. Lorsque mon excellente mère me disait : « Mon enfant, tout n’arrive que par la permission de Dieu ; vous n’avez rien à craindre des mauvais esprits, tant que vous serez bon chrétien ; » j’étais mieux rassuré que par tous les arguments de la philosophie. Mon succès fut si complet que les vents de la nuit, dans ma tour déshabitée, ne servaient que de jouets à mes caprices et d’ailes à mes songes. Mon imagination allumée, se propageant sur tous les objets, ne trouvait nulle part assez de nourriture et aurait dévoré la terre et le ciel.
François-René de CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe, livre troisième, chapitre IV (1809-1841).
1 “martinets” : petits oiseaux
2 “séculaires” : vieilles de plusieurs siècles
Première partie : interprétation littéraire
Comment l’auteur s’approprie-t-il une expérience de l’enfance ?
Deuxième partie : essai philosophique
La sensibilité est-elle formée par les seules épreuves de la vie ?
SUJET 2
L’État en guerre se permet toutes les injustices, toutes les violences, dont la moindre déshonorerait l’individu. Il a recours, à l’égard de l’ennemi, non seulement à la ruse permise, mais aussi au mensonge conscient et voulu, et cela dans une mesure qui dépasse tout ce qui s’était vu dans des guerres antérieures. L’État impose aux citoyens le maximum d’obéissance et de sacrifices, mais les traite en mineurs, en leur cachant la vérité et en soumettant toutes les communications et toutes les expressions d’opinions à une censure qui rend les gens, déjà déprimés intellectuellement, incapables de résister à une situation défavorable ou à une sinistre nouvelle. Il se dégage de tous les traités et de toutes les conventions qui le liaient à d’autres États, avoue sans crainte sa rapacité et sa soif de puissance que l’individu doit approuver et sanctionner par patriotisme.
Qu’on ne vienne pas nous dire que l’État ne peut pas renoncer à avoir recours à l’injustice, car s’il y renonçait, il se mettrait en état d’infériorité. Se conformer aux normes morales, renoncer à l’activité brutale et violente est pour l’individu aussi peu avantageux que pour l’État, et celui-ci se montre rarement disposé à dédommager le citoyen des sacrifices qu’il exige de lui. Il ne faut pas, en outre, s’étonner de constater que le relâchement des rapports moraux entre les grands individus de l’humanité ait eu ses répercussions sur la morale privée, car notre conscience, loin d’être le juge implacable dont parlent les moralistes, est, par ses origines, de l’« angoisse sociale », et rien de plus. Là où le blâme de la part de la collectivité vient à manquer, la compression des mauvais instincts cesse, et les hommes se livrent à des actes de cruauté, de perfidie, de trahison et de brutalité, qu’on aurait crus impossibles, à en juger uniquement par leur niveau de culture.
Freud Considérations actuelles sur la guerre et la mort (1915)
Première partie : interprétation littéraire
Quels sont les effets de la violence de l’Etat sur les individus ?
Deuxième partie : essai philosophique
Dans quelle mesure la littérature permet-elle de s’interroger sur le rapport de
l’individu au pouvoir ?