Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Métropole
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2022
Session : Remplacement
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve :
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
L’épreuve suprême de la liberté – n’est pas la mort mais la souffrance. La haine le sait fort bien qui cherche à saisir l’insaisissable, à humilier, de très haut, à travers la souffrance où autrui existe comme pure passivité ; mais la haine veut cette passivité dans l’être éminemment actif qui doit en témoigner. La haine ne désire pas toujours la mort d’autrui ou, du moins, elle ne désire la mort d’autrui qu’en infligeant cette mort comme une suprême souffrance. Le haineux cherche à être cause d’une souffrance dont l’être haï doit être témoin. Faire souffrir, ce n’est pas réduire autrui au rang d’objet, mais au contraire le maintenir superbement dans sa subjectivité. Il faut que dans la souffrance le sujet sache sa réification1, mais pour cela il faut précisément que le sujet demeure sujet. Le haineux veut les deux. D’où le caractère insatiable de la haine ; elle est satisfaite précisément lorsqu’elle ne l’est pas, puisqu’autrui ne la satisfait qu’en devenant objet, mais il ne saurait devenir jamais assez objet puisqu’on exige, en même temps que sa déchéance, sa lucidité et son témoignage. Là réside l’absurdité logique de la haine.
Emmanuel Levinas, Totalité et infini (1974)
1 « réification » : le fait de traiter quelqu’un comme une chose.
Première partie : interprétation littéraire
D’après Levinas, en quoi la haine est-elle insatiable ?
Deuxième partie : essai philosophique
Pourquoi les sentiments inhumains occupent-ils tant de place dans la littérature et les arts ?
SUJET 2
Rainer Maria Rilke s’adresse au « jeune poète » Franz Kappus.
Vous avez eu maintes grandes tristesses, qui ont passé. Et vous dites que c’est aussi ce caractère passager qui vous a été pénible et contrariant. Mais réfléchissez, je vous prie : ces grandes tristesses ne vous ont-elles pas plutôt centralement traversé ? Maintes choses en vous ne se sont-elles pas transformées, n’avez-vous pas changé en tel point, tel endroit de votre être, tandis que vous étiez triste ? Seules sont dangereuses et mauvaises les tristesses qu’on emporte au milieu des gens pour en couvrir la voix ; comme des maladies superficiellement et sottement traitées, elles ne font que reculer, et leur éruption, après une petite pause, est d’autant plus effroyable ; elles s’accumulent au-dedans, elles sont de la vie, de la vie non vécue, rejetée, perdue, de la vie dont on peut mourir. S’il nous était possible de voir un peu plus loin que notre savoir ne porte, et encore un peu au-delà des avant-postes de notre intuition, peut-être supporterions-nous alors nos tristesses avec plus de confiance que nos joies. Car elles sont les instants où quelque chose de nouveau est entré en nous, quelque chose d’inconnu ; nos sentiments se taisent, en une réticence craintive, tout en nous recule, il se fait un silence, et le nouveau, que personne ne connaît, se tient là, au milieu, muet.
Je crois que presque toutes nos tristesses sont des moments de tension que nous ressentons comme de la paralysie, sourds que nous sommes à la vie de nos sentiments frappés d’étrangeté. C’est que nous sommes seuls avec l’étranger qui est entré en nous ; c’est que tout le familier, tout l’habituel nous est pour un instant enlevé ; et que nous nous trouvons au milieu d’une transition où nous ne pouvons rester arrêtés. Voilà pourquoi la tristesse est passagère : le nouveau en nous, venu s’ajouter, est entré dans notre cœur, a pénétré dans sa loge la plus intime, mais, là même, il n’est plus – est déjà dans le sang. Et nous n’avons pas connaissance de ce que c’était. On pourrait facilement nous faire croire que rien ne s’est passé ; et pourtant nous nous sommes transformés comme se transforme une maison où un hôte est entré. Nous ne pouvons dire qui est venu, nous ne le saurons peut-être jamais, mais bien des indices donnent à penser que c’est l’avenir qui, de cette manière, entre en nous, pour se transformer en nous, longtemps avant que de survenir.
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, (1929), trad. C. Mouchard.
Première partie : interprétation littéraire
D’après ce texte, comment la tristesse nous transforme-t-elle ?
Deuxième partie : essai philosophique
Se connaître est-ce comprendre ce que l’on ressent ?