Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Polynésie
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2021
Session : Remplacement
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 21HLPJ1PO3
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
Jean ECHENOZ, 14, chapitre 8, 2012.
14 évoque le destin de quelques soldats français engagés dans les combats de la Première Guerre mondiale. Le passage qui suit constitue leur baptême du feu.
Puis on leur a crié d’avancer et, plus ou moins poussé par les autres, il1 s’est retrouvé sans trop savoir que faire au milieu d’un champ de bataille on ne peut plus réel. D’abord avec Bossis ils se sont regardés, Arcenel derrière eux rajustait une courroie et Padioleau se mouchait dans un tissu moins blanc que lui. Ensuite il a bien fallu s’élancer au pas de charge cependant que paraissait à l’arrière-plan, dans leur dos, un groupe d’une vingtaine d’hommes qui, le plus paisiblement du monde, se sont disposés en rond sans apparent souci des projectiles. C’étaient les musiciens du régiment dont le chef, sa baguette blanche dressée, a fait s’élever en l’abattant l’air de La Marseillaise, l’orchestre envisageant d’illustrer vaillamment l’assaut. Bien disposés en défense dans un bois qui les dissimulait, les ennemis ont d’abord empêché la troupe de progresser mais, l’artillerie s’y mettant par-derrière pour essayer de les affaiblir, on a entrepris d’attaquer, courant courbés, maladroitement sous le poids du matériel, chacun précédé de sa baïonnette qui trouait l’air glacé devant soi.
Or on avait chargé trop tôt, commettant de plus l’erreur de se porter en masse sur la route qui traversait le théâtre du combat. Cette route, à découvert et bien repérée par l’artillerie adverse postée derrière les arbres, constituait en effet une cible parfaitement dégagée : tout de suite quelques hommes, pas loin d’Anthime, se sont mis à tomber, il a cru voir jaillir deux ou trois gerbes de sang mais les a rejetées avec vigueur de son esprit – n’étant pas même certain, n’ayant pas le temps d’être certain que ce fût du sang sous pression, ni d’ailleurs d’en avoir jamais vu à ce jour, du moins pas de cette façon ni sous cette forme. Il n’avait d’ailleurs pas la tête à penser, juste à tenter de tirer sur ce qui semblait hostile et, surtout, chercher un couvert possible où qu’il fût. Par chance, quoique aussitôt battue en règle par le feu ennemi, la route présentait çà et là des tronçons encaissés où l’on a d’abord pu s’abriter un peu.
Mais trop peu : sous les ordres aboyés, les premiers rangs d’infanterie ont dû
abandonner cette voie pour se risquer ouvertement dans l’étendue d’avoine qui la bordait et, dès lors, non contents d’essuyer les tirs venus de l’ennemi, ils ont commencé de recevoir aussi dans le dos des balles imprudemment tirées par leurs propres forces, après quoi le désordre s’est vite installé dans les rangs. C’est qu’on était sans expérience, les accrochages commençaient à peine : ce ne serait que plus tard, pour pallier de tels impairs et se faire mieux repérer par les officiers observateurs, qu’on recevrait l’ordre de coudre un grand rectangle blanc dans le dos de sa capote.
Cependant, tandis que l’orchestre tenait sa partie dans le combat, le bras du baryton s’est vu traversé par une balle et le trombone est tombé, très mauvaisement blessé : le rond s’est resserré d’autant et, quoique en formation restreinte, les musiciens ont continué de jouer sans la moindre fausse note, puis comme ils reprenaient la mesure où se lève l’étendard sanglant, la flûte et l’alto sont tombés morts.
1 Il s’agit d’Anthime, les autres noms propres qui suivent (Bossis, Arcenel et Padioleau) sont ceux de ses camarades de régiment.
Première partie : interprétation littéraire
Qu’est-ce que la représentation de la guerre a de paradoxal dans cet extrait ?
Deuxième partie : essai philosophique
La guerre est-elle toujours absurde ?
Pour construire votre réponse, vous vous référerez au texte ci-dessus, ainsi qu’aux lectures et connaissances, tant littéraires que philosophiques, acquises durant l’année.
SUJET 2
Ferdinand ALQUIÉ, Le désir d’éternité, 1943.
Le passionné s’abuse, ne tient compte que d’une partie de lui-même, oublie la plupart de ses désirs. Il sent même confusément cette partialité qui l’aveugle, et que pourtant il se refuse à tirer au clair. Les discours qu’il se tient à lui-même ne vont jamais sans quelque dissimulation. La passion est moindre conscience. L’ivrogne préfère la vie à l’alcool qui le tue, et pourtant il boit. Et c’est le bonheur qu’au plus profond de lui-même recherche l’amoureux : cependant son amour l’attache à ses souffrances. Il est donc vrai de dire que, dans la passion, nous agissons contre notre raison […] Elle nous aveugle sur notre nature réelle, elle est ignorance de nous-mêmes.
Le problème de l’origine de la passion est donc celui de l’origine de l’erreur passionnelle. On explique souvent cette erreur en invoquant l’inconscient. Mais sans doute est-ce là formuler le problème plus que le résoudre : toute erreur est moindre conscience […] Si donc on veut découvrir la source de l’erreur passionnelle, il faut se demander d’abord en quoi elle consiste : nous comprendrons alors qu’elle émane du refus du temps. Le passionné, en effet, semble être celui qui préfère le présent au futur, le passé au présent. Le temps, coulant du passé au présent, du présent au futur, semble au contraire nier sans cesse ce qui fut, construire ce qui sera. La passion s’oppose donc bien au temps, elle veut le contraire de ce que fait le temps. Si donc quelque inconscient révèle ici sa présence, il n’apparaît pas comme une somme de désirs cachés, mais comme le fruit de ce qui, en nous, refuse de devenir.
Si l’on s’en tient en effet à l’état présent de l’amoureux, il est clair que l’essentiel est pour lui de retrouver celle qu’il aime. Pour l’ivrogne, l’essentiel est de boire sur-lechamp, pour le joueur, l’essentiel est de courir au casino. Mais demain, voici l’amoureux au désespoir, l’ivrogne malade, le joueur ruiné. Et tous trois se plaignent avec amertume, accusant leur passion qui les a trompés.
Première partie : interprétation littéraire
En quel sens, d’après le texte, peut-on dire que le moi passionnel est un moi qui se trompe ?
Deuxième partie : essai philosophique
Pourquoi la littérature exalte-t-elle les passions ?
Pour construire votre réponse, vous vous référerez au texte ci-dessus, ainsi qu’aux lectures et connaissances, tant littéraires que philosophiques, acquises durant l’année.