Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Polynésie
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2022
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 22HLPJ2PO1
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2
SUJET 1
A la fin de la Première Guerre mondiale, Antoine est soigné dans une clinique militaire. Lors d’une permission, il retrouve Daniel mutilé à la suite d’une blessure.
Antoine, à son tour, commença, d’une voix hésitante, entrecoupée de toux :
« Il y a des moments où je me dis que c’est la dernière ; que, après celle-là, non, il n’est pas possible de penser qu’il puisse y en avoir d’autres !… Des moments, où j’en suis sûr… Mais, à d’autres moments, je doute… Je ne sais plus… »
Daniel mastiquait en silence, les regards perdus. Que pensait-il ?
Antoine s’était tu. Il avait vraiment trop de peine à parler plusieurs minutes de suite. Mais il continuait à réfléchir aux mêmes choses, pour la centième, pour la millième fois. « On est épouvanté, se disait-il, quand on mesure froidement tout ce qui s’oppose à la pacification entre les hommes… Combien de siècles encore avant que l’évolution morale – s’il y a une évolution morale ? – ait enfin purgé l’humanité de son intolérance instinctive, de son respect inné de la force brutale, de ce plaisir fanatique qu’éprouve l’animal humain à triompher par la violence, à imposer, par la violence, ses façons de sentir, de vivre, à ceux, plus faibles, qui ne sentent pas, qui ne vivent pas, comme lui ?… Et puis, il y a la politique, les gouvernements… Pour l’autorité qui déclenche la guerre, pour les hommes au pouvoir qui la décident et la font faire aux autres, ce sera toujours, aux heures de faillite, une solution si tentante, si facile… Peut-on espérer que jamais plus les gouvernements n’y auront recours ?… Il faudrait alors que ce leur soit devenu impossible : il faudrait que le pacifisme ait de telles racines dans l’opinion, ait pris une telle extension, qu’il oppose un infranchissable obstacle à la politique belliqueuse des États. C’est chimère que d’espérer ça… Et puis, le triomphe du pacifisme serait-il seulement une sérieuse garantie de paix ? Même si, un jour, dans nos pays, les partis pacifistes tenaient le pouvoir, qui nous dit qu’ils ne céderaient pas à la tentation de faire la guerre pour le plaisir d’imposer, par la violence, l’idéologie pacifiste au reste du monde ? … »
Roger Martin du Gard, Les Thibault, III, Epilogue (1953)
Première partie : interprétation littéraire
Quelle vision de l’humanité Antoine développe-t-il dans cet extrait ?
Deuxième partie : essai philosophique
Peut-on envisager un monde sans guerre ?
SUJET 2
La pathologie nous fait connaître un grand nombre d’états dans lesquels la démarcation du moi d’avec le monde qui l’entoure devient incertaine, ou dans lesquels les frontières sont tracées de manière vraiment incorrecte ; des cas où des parties de notre propre corps, et même des pans de vie de notre âme, perceptions, pensées, sentiments, apparaissent comme étrangers et n’appartenant pas au moi, d’autres où l’on impute au monde extérieur ce qui est manifestement né dans le moi et devrait être reconnu par lui. Ainsi, le sentiment du moi est soumis lui aussi à des perturbations, et les frontières du moi ne sont pas constantes.
Une autre réflexion consiste à dire : ce sentiment du moi de l’adulte ne peut avoir été tel dès le début. Il doit avoir suivi un développement qu’on ne peut évidemment pas démontrer, mais qu’on peut reconstruire avec une certaine vraisemblance. Le nourrisson n’isole pas encore son moi d’un monde extérieur qui est la source des sensations affluant sur lui. Il apprend à le faire peu à peu par diverses excitations. Cela doit lui faire la plus forte impression, que certaines sources d’excitations, dans lesquelles il reconnaîtra plus tard ses organes corporels, puissent à tout moment lui faire parvenir des sensations, tandis que d’autres se dérobent à lui par moments ― parmi elles, celle qu’il désire le plus : le sein maternel ―, qu’il ne peut rappeler qu’en les réclamant par des cris. Par là, un « objet » s’oppose d’abord au moi, comme quelque chose qui se trouve « à l’extérieur », et qui ne peut apparaître que sous la contrainte d’une action particulière. Une autre impulsion au détachement du moi d’avec la masse des sensations, donc à la reconnaissance d’un « dehors », d’un monde extérieur, est donnée par les fréquentes, diverses et inévitables sensations de douleur et de déplaisir que le tout-puissant principe de plaisir1 commande de suspendre et d’éviter. Une tendance se crée à isoler du moi ce qui peut devenir source d’un tel déplaisir, à le rejeter à l’extérieur, à former un pur moi hédonique2, auquel s’oppose un dehors étranger et menaçant.
Sigmund Freud, Le malaise dans la culture (1929) ; trad. Dorian Astor.
1 Le principe de plaisir désigne la tendance des pulsions inconscientes à rechercher le plaisir, quitte à
s’écarter de la réalité
2Hédonique : qui renvoie au principe de plaisir.
Première partie : interprétation littéraire
Qu’est-ce qui explique selon Freud les fluctuations du moi ?
Deuxième partie : essai philosophique
Se raconter, est-ce explorer les « frontières du moi » ?