Bac Général
Classe : Terminale
Centre d’examen : Centres Etrangers Afrique
Matière : Humanités, littérature et philosophie
Année : 2023
Session : Normale
Durée de l’épreuve : 4 heures
Repère de l’épreuve : 23-HLPJ1G11
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Répartition des points :
Première partie : 10 points
Deuxième partie : 10 points
Dans ce roman paru en 1943, l’auteur imagine une société dans laquelle l’électricité disparait, ce qui plonge le pays dans le chaos.
La foule se serra autour de la voiture à bras. Elle se sentait rassurée par la présence de cet homme qui connaissait les secrets de la nature. Chacun avait l’impression de se retrouver près de la Science elle-même, la Science qui explique tout et peut tout. Un monsieur maigre s’empara d’un seau en fer que portait une ménagère, le posa à terre, renversé, grimpa dessus, et, d’une voix de coq enroué, parla :
– Messieurs, mesdames, citoyens …
– Hou… hou…, répondit la foule.
– Je ne veux pas vous faire de discours, je me propose seulement de demander en votre nom à l’éminent savant qui se retrouve en ce moment parmi nous de nous donner des éclaircissements sur le phénomène qui vient de bouleverser notre vie. Je …
-Vive Portin ! La parole à Portin. Portin ! Portin ! Portin !
Le savant tremblait d’émotion dans son fauteuil et faisait avec la main des gestes de dénégation. Alors un gigantesque ouvrier fendit les groupes et parvint jusqu’à la charrette. C’était un métallurgiste, un ancien du métier, à la peau recuite, un vieux compagnon qui avait résisté à trente ans d’usine. Sa main droite, avec laquelle, à
l’atelier, il donnait toutes les deux secondes le même coup de marteau sur des rivets toujours pareils, restait fermée autour d’un manche imaginaire.
– Ecoutez, m’sieur Portin, nous, on est là, on sait pas, et on veut savoir. Vous, vous savez, la Science… Il faut nous dire. Qu’est-ce qui se passe ? Quand est-ce que ça va finir ?
Le vieillard, péniblement, se leva de son fauteuil. Il tremblait.
-Mes bons amis… dit-il
Sa voix aigrelette ne portait pas à plus de dix mètres.
-Mes bons amis, je ne peux rien vous dire, je ne sais rien. On n’a jamais vu ça. Notre science est une science expérimentale. Or, le phénomène qui vient de se produire ne correspond à rien de ce que nous savons. C’est en violant toutes les lois de la Nature et la logique que l’électricité a disparu. Et, l’électricité morte, il est encore plus invraisemblable que nous soyons vivants. Tout cela est fou. C’est un cauchemaranti scientifique, antirationnel. Toutes nos théories, toutes nos lois sont renversées. Voir cela au terme de ma vie de savant…
Il se laissa retomber lourdement dans son fauteuil. Les premiers rangs de la foule virent de grosses larmes couler de ses yeux dans sa moustache blanche. Mais les gens qui se trouvaient plus loin, inquiets, curieux, voulurent aussi entendre. Les grands se haussaient sur la pointe des pieds, les petits se cramponnaient aux grands. Des gamins grimpaient aux fûts des lampadaires. On se passait de rang à rang des fragments de phrase :
– Il a dit que l’électricité était morte.
– Ma pauvre, il a dit qu’il y comprenait rien.
– Il a dit que c’était la guerre.
– Il a dit qu’il allait tout arranger.
La multitude voulut en savoir davantage. De partout à la fois elle poussa vers le centre. Dix mille poitrines firent pression. La foule ne fut plus qu’une masse compacte, un seul muscle contracté. Il y eut des remous, des tourbillons, des vêtements arrachés, des côtes fracturées, des caleçons souillés. La voiture de M. Paul Portin fit trois tours sur elle-même, craqua et disparut. Le vieux savant se trouva projeté en l’air et retomba sur des épaules. Il y flotta quelques instants, puis sombra.
René Barjavel, Ravage (1943)
Première partie : interprétation littéraire
Quelle image de la science cet extrait propose-t-il ?
Deuxième partie : essai philosophique
Doit-on attendre de la science qu’elle réponde à toutes nos questions ?